Jumeaux numériques: mais qu’est-ce que c’est ?

Les « jumeaux numériques » (ou « digital twins ») sont à la mode. Ils ont commencé au sein de grands industriels: jumeau numérique d’avion, de réacteur nucléaire. Ils se sont échappés hors des industries pour s’étendre aux réseaux d’eau, à la gestion de ressources naturelles, aux jumeau numérique des sols. Microsoft propose des services de digital twin valorisant les objets connectés. Les jumeaux numériques ont la cote, mais… qu’est-ce donc ?

Il y a deux définitions différentes d’un jumeau numérique: « une maquette numérique qui ressemble trait pour trait à l’objet réel » (cas des modèles BIM par exemple) ou « un modèle numérique qui réagit comme l’objet réel » (on parle alors de simulations).

Fréquence des termes « digital twin » dans les ouvrages indexés par Google Books (d’après Google ngrams en octobre 2023). On y constate la récence des termes « digital twins » dans les ouvrages.

Jumeau numérique « statique »: une maquette détaillée et actualisée

La première compréhension du jumeau numérique, et la plus faible, est un double numérique, qui correspond dans ses détails à la structure de l’objet réel.

Dans le bâtiment, un jumeau numérique (connu comme « BIM »: Building Information Model) est une maquette numérique 3D d’un bâtiment. Bien sûr, les plan d’architecture ne sont pas nouveaux: on a toujours réalisé des plans en avant-projet (esquisse); des plans d’avant projet qui permettent d’élaborer et valider les grandes lignes du bâtiment; des plans d’exécution déclinés par phase, thème, avec des niveaux de précision pour guider la construction concrète. A l’origine rédigé sur papier, ces plans d’architecte sont depuis longtemps décrits dans des logiciels 3D. Qu’elle est alors l’originalité d’un jumeau numérique ? D’une part, le jumeau numérique du bâtiment est plus détaillé que les plans habituels: on y décrit pas uniquement les volumes et les parois, mais aussi la conception technique détaillée du bâtiment avec les couches qui composent les parois (structure, et isolants notamment), les réseaux de fluides, etc. D’autre part, contrairement aux multiples plans d’exécution qui décrivent des visions multiples difficiles à maintenir à jour, le jumeau numérique a vocation a être maintenu toujours à jour: pendant les études (si l’architecte en charge de l’aménagement intérieur d’un bâtiment décide de déplacer une paroi, cette modification sera visible de tous les autres intervenants sur le projet), pendant la construction, et même idéalement pendant la maintenance du bâtiment. C’est donc le sens du terme « jumeau » qui serait le double génétique qui vieillit en même temps que son jumeau réel: si je teste sur le jumeau (numérique !), je sais ce qui se passerait de façon fiable sur le véritable. C’est l’idée qui est évidemment délicate à mettre en oeuvre, puisqu’elle suppose que les nombreux corps de métiers, sous-traitants d’un chantier en phase de construction et pendant les décennies de maintenance du bâtiment aient accès à cette représentation partagée, disposent des compétences pour le mettre à jour, et investissent l’effort nécessaire pour maintenir cette maquette à jour.

Le BIM est l’exemple le plus connu de jumeau numérique « statique ». On parle de « statique » au sens où le modèle ne décrit pas l’évolution du système modélisé, mais « simplement » le bâtiment tel qu’il est. Pourtant, nous n’avons vu, le but du jumeau numérique est d’évoluer au fil du projet pour demeurer « synchronisé » avec le bâtiment existant: on y décrit ce qu’on sait du bâtiment, ce qu’on y fait, ce qu’on y a fait. Le jumeau numérique statique est modifié par l’homme sur un temps long (mois, années), il ne se modifie pas tout seul.

Beaucoup de jumeaux numériques sont des jumeaux numériques statiques:

  • les maquettes BIM
  • des « jumeaux numériques des territoires » qui sont plus précisément des maquettes photoréalistes de territoires (par ex par IGO)

En pratique, un jumeau numérique statique est une base de données. C’est une base de données très structurée, plus évoluée qu’un fichier Excel. Cette base de donnée contient notamment des notions spatiales (position en 3D des équipements industriels, des pièces d’un moteur, des parois d’un bâtiment) et des relations entre les objets décrits (superposition de couches de matériaux, liaison entre composants du moteur…). C’est toutefois uniquement une base de données. En termes organisationnels, un jumeau numérique statique se gère d’ailleurs comment une base de données: la problématique principale est celle de sa maintenance dans le temps, du partage d’une version toujours à jour entre différents acteurs, la pérennité des données dans le temps.

Jumeau numérique de simulation: une maquette qui réagit comme le système

La seconde compréhension du terme « jumeau numérique » est un copie numérique qui réagit comme l’objet réel réagirait. Le jumeau numérique décrit alors de quoi est constitué l’objet réel, mais aussi les principes physiques qui le régissent. Ce jumeau est dynamique: on peut expérimenter une action sur ce jumeau numérique, et observer comme le système réel réagirait.

Ces jumeaux numériques sont des modèles de systèmes physiques dans lesquels ont décrit les composants du système (matériaux, caractéristiques, déplacements, transferts thermiques…) et les règles qui régissent l’évolution du sytème dans le temps. Ces jumeaux numériques font notamment référence:

  • à des modélisations multiphysiques, dans lesquels ont décrit les interactions entre la physique des matériaux, la dynamique des fluides, la thermique et/ou d’autres principes physiques. On peut inclure ici les modèles de composants techniques (pompe), de systèmes (éolienne, chaufferie…), de soufflerie virtuelle, etc.
  • des modélisations systémiques dans lequelles on décrit les composants du système et leurs interactions.

Jumeau numérique « connecté »: une maquette qui affiche l’état du système réel

Les acteurs focalisés sur les capteurs et le rapatriment de leurs données (Internet of Things, IoT) entendent par « jumeau numérique » un objet numérique qui, grâce à un flux constant de données sur l’état du système réel, présentent un double numérique précis et actualisé du système réel.

QUelques exemples:

  • https://atee.fr/evenement/loptimisation-energetique-grace-au-jumeau-numerique-cas-dusages-et-realites-de-mise-en

Certains envisagent qu’un grand volume de données, associé à des méthodes d’apprentissage automatisée (« IA », « Deep Leaning »), puissent créer automatiquement des reflets de la dynmaique de systèmes .

On ne les appelait pas encore jumeaux numériques…

Le terme jumeau numérique est à la mode. Populaire depuis peu, il permet de dépoussiérer les termes datés et abstraits de « modèle » ou « chaîne de calcul ». On pourrait citer beaucoup de modèles numériques de systèmes réels qui répondent à la définition sans en être qualifiés:

  • les modèles météorologiques, que l’on actualise chaque jour avec l’état des températures, pressions, hygrométrie à l’échelle du globe, ne sont-ils pas des jumeaux numériques de l’atmosphère ?
  • les modèles de traffic gérés notamment par les agences de qualité de l’air, qui décrivent l’état habituel du traffic moyen sur un territoire et sont mis à jour toutes les quelques années, ne sont-ils pas des jumeaux numériques du traffic ? Une carte du traffic mesuré en temps réell est-il un jumeau numérique du traffic ?
  • Le cadrastre n »est-il pas le jumeau numérique le plus ancien et le plus pratiqué de par le monde ? Le BRO (Basisregistratie Ondergrond), le registre numérique des sols aux Pays-Bas, est-il un jumeau numérique du sous-sol, comme un BIM du sous-sol ?
  • OpenStreetMap, qui crée une cartographie collaborative constamment mise à jour pour inventorier bâtiments, rues, points d’intérêt, arbres, routes ouvertes et fermées, n’est-il pas un jumeau numérique ?

Comme toujours, c’est en observant les exemples hors de la définition qu’on la met à l’épreuve. S’agit-il là de jumeaux numériques ? Peut-être ne doit-on pas définir un jumeau numérique par ce qu’il est (détaillé, maintenu à jour) ? Peut-être devrait-on définir un jumeau numérique par le problème que l’on cherche à résoudre (mettre en commun une représentation du système, pouvoir expérimenter sur une copie du système) ou ce que l’on veut en faire (piloter, anticiper, comparer avec l’état réel) ?

Pour aller plus loin

Sur les jumeaux numérique des territoires:

  • Banque des territoires: Miroir, miroir … : le jumeau numérique du territoire. 2021.
  • supplément « jumeau numériques » de l’Unine Nouvelle en 2020 : https://teratec.eu/library/pdf/doc/presse/2020_04_23_Supp_Simulation_Usine_Nouvelle_FR.pdf

Lire et citer:

  • https://www.usinenouvelle.com/editorial/les-avionneurs-s-emparent-du-jumeau-numerique.N953846
  • https://ts2.space/fr/le-role-de-la-technologie-du-jumeau-numerique-dans-laerospatiale-et-laviation/